La voie de l’écrit : Bonjour, merci beaucoup d’avoir répondu présent à l’invitation de peindre La Gâche.
Comme d’habitude, j’ai envie de commencer par te demander d’où vient ton pseudonyme?
Poes : J’ai choisi Poes vers 2005, ça faisait déjà 7 ans que je m’intéressais à toutes ces histoires de graffiti, et j’étais déjà passé par pas mal de pseudos. J’aimais bien l’enchainement des lettres, un nom qui n’était pas pris, en tout cas pas en France, qui ne veut rien dire en français mais qui sonne familier, et puis quelques années plus tard je me suis rendu compte que ça voulait dire chat et chatte en hollandais/flamand, mais ça c’est une autre histoire…
LVE : Il se trouve qu’on s’est rencontré par hasard vers 2002 je dirais, le long de la ligne Saint Lazare en région parisienne. Je me souviens qu’à l’époque tu étais pas mal dans le tag. Je me souviens que tu avais une grosse énergie, on sentait que tu étais habité par le graffiti, ca ne m’étonne pas que tu sois toujours dans la peinture.
Peux-tu nous dire quelles ont été les étapes du tag, aux pièces travaillées puis au travail sur toile? Y a-t-il eu des rencontres, des « déclics »?
Saurais-tu dire si il y a eu un moment ou tu as été convaincu que tu te consacrerais à la peinture?
Poes : Toute cette histoire m’est tombée dessus et j’ai effectivement vécu ma petite aventure à mon rythme et avec mes envies mais toujours avec pas mal d’enthousiasme… pour moi, l’intérêt premier du graffiti est plus social qu’artistique : qu’est ce qui pousse des adolescents à faire le mur pour sortir de chez leurs parents la nuit et s’approprier la ville et ses murs ? Et qu’est ce qui pousse ce même adolescent quand il a grandi, à 20, 25, 30, 40 et même plus tard, à toujours sortir errer la nuit avec un sac de sprays ? C’est cette revendication existantialiste et purement égoïste qui m’intéresse et m’interpelle le plus profondément.
La ligne Saint Lazare et le coin de la défense en particulier était une école parfaite, il y avait encore intact fin des 90’s/ début 2000 tellement de pures pièces de Bears et des 90DBC, de Sino, Sleez et les DUC, et encore quelques trucs des FBI, le Fabe de la défense (toujours là mais toyé par la suge )
A l’époque il n’y avait pas internet, le graffiti existait depuis déjà deux « générations » de graffeurs en France et pour voir des graffs le mieux c’était de prendre le train et d’ouvrir les yeux.
C’est en effet le tag qui m’a tout de suite captivé, j’avais un style de merde mais je faisais ce que je pouvais. On a assez vite, fin 2001, monté FATSK avec Tombe, Lapin, Modi, Be’r, et pas mal de copains du coin, un vrai crew familial et amical, mon premier cercle. C’est ensemble qu’on a vraiment appri à peindre, on a d’abord passé pas mal de temps et de peinture dans une usine du bas de Suresnes, et quand on a commencé à savoir un peu mieux peindre on est plus sorti sur la ligne et au delà.
En 2004 on a commencé à peindre des trains avec les DKS, qui nous ont expliqué le jeu et ses pièges, et aussi montré que le style ne se limitait pas à ce qu’on en connaissait. La scène train début 2000 était en pleine effervescence, et les graffeurs profitaient des trains pour essayer plein de nouvelles formes, d’autres voies graphiques, ça marchait ou pas, en tout cas c’était vite buffé donc pas trop grave. Cette énergie m’a beaucoup plu, une vraie révolution. C’est dommage mais ça c’est beaucoup perdu avec le temps, on voit de moins en moins d’ovnis roulants, et les styles se sont vraiment formatés partout dans le monde.
Je suis ensuite rentré VMD, une 3e équipe familiale, et des heures passées chez Dize à apprendre sur les styles américains, les tags, les flops, aux nuits passées sur les voies ferrées avec Fenx.
Parallèlement, plutôt pour occuper les soirées pluvieuses, on s’était mis à faire des petites toiles ( pas formidables), et progressivement ça a commencé à prendre plus de place, les premières expositions et quelques plans payés ont eu raison de mes ambitions universitaires, et j’ai décidé de me professionnaliser.
C’est vraiment la lettre qui m’a intéressé avant le dessin, je n’ai pas le souvenir que je dessinais quand j’étais petit, et après avoir trouvé mon style via la typographie, un style résolument rond et coloré pour trancher avec les clichés agressifs du graff, c’est assez naturellement que j’ai décidé de me tourner vers les personnages, et donc par cohérence, à toute l’école de la ligne claire belge.